Un nombre grandissant de recherches en psycholinguistique démontrent l’importance de la conscience morphologique et de la conscience syntaxique en tant que prédicteurs de compétences linguistiques de haut niveau comme la compréhension en lecture. Ces habiletés métalinguistiques, réunies sous le vocable « conscience grammaticale », consistent en l’identification et la manipulation consciente des structures morphologiques et syntaxiques, et permettent de discriminer les lecteur·trices expert·es des moins habiles. Gombert (2006) considère que les habiletés métalinguistiques évoluent sous l’effet de l’exposition à l’écrit, et l’apprentissage de la lecture lui-même est régulièrement décrit comme « fondamentalement métalinguistique ».
La diversité des tâches utilisées pour mesurer ces habiletés a donné lieu à un débat méthodologique sur leur typologie et leur dimensionnalité présumée. Les épreuves semblent faire fonctionner deux types de variables. D’une part, les tâches se déclinent sur plusieurs unités de traitement – morphèmes dérivationnel ou flexionnel, mot ou syntagme. Mais réussir ces épreuves métalinguistiques nécessite d’autre part une habileté dans l’opération spécifique qui doit être réalisée, soit l’ajout et la suppression, indépendamment de leur contenu. Se dessinent alors deux grandes familles d’habiletés sous-jacentes de natures bien différentes : l’une est linguistique, tandis que l’autre est cognitive. La présente thèse cherche à construire des variables latentes représentant les habiletés transversales aux épreuves traditionnelles de conscience morphologique et de conscience syntaxique, et à évaluer expérimentalement l’influence de ces habiletés de natures linguistique et cognitive sur la réussite en compréhension en lecture.
208 élèves de Suisse romande âgé·es de 8 à 12 ans ont été invité·es à effectuer 3 tâches de conscience syntaxique (identification, correction et reproduction d’erreurs), 6 tâches de conscience morphologique (paires de mots, extraction de la base, dérivation, décomposition, choix de suffixes dérivationnels et flexionnels dans des pseudomots) et 2 tâches transformationnelles non linguistiques. La compréhension en lecture a été mesurée à l’aide de 2 tâches.
La dimensionnalité des tâches morphologiques et syntaxiques a été d’abord explorée grâce à des analyses factorielles confirmatoires (AFC). À la suite de cette analyse, l’influence des habiletés latentes construites sur la compréhension en lecture a été examinée à l’aide de modèles par équation structurelle (SEM). Les résultats suggèrent que l’habileté à prendre conscience de l’unité linguistique en jeu dans les épreuves est déterminante pour la compréhension en lecture. Les opérations minimales de nature cognitive, telles que nous les avons conçues, ne jouent pas un rôle significatif dans les mécanismes en jeu dans les habiletés métalinguistiques.
Le projet cherche également à mieux comprendre le statut des habiletés métalinguistiques au sein de la didactique, en le mettant en parallèle avec le statut de ces mêmes habiletés au sein de la psycholinguistique. La thèse cherche à ouvrir le dialogue sur des pistes de transposition didactique, en prenant position sur les activités qui seraient favorables au raisonnement grammatical, en passant de la mesure à l’évaluation.
