Récemment menée en Suisse francophone, notre recherche doctorale a pour objet la reconstruction du parcours professionnel ou éducatif des personnes paraplégiques. Nous avons formulé l’hypothèse que ces personnes mettent en œuvre des stratégies d’empowerment pour se réengager dans leur parcours professionnel ou éducatif, alors que des déterminations causées par les systèmes imbriqués du handicap et du genre, viennent limiter leur auto-direction et leur pouvoir d’agir. Ancrée dans trois champs disciplinaires (les Disability Studies, les études genre et l’éducation des adultes), notre recherche s’appuie sur la méthodologie des récits de vie. Pour comprendre les stratégies d’émancipation du genre et du handicap de nos informateurs-trices, nous recourons à une grille d’analyse de l’expérience associant les modèles biographiques de De Coninck et Godard (1990), les épreuves biographiques (Martuccelli, 2015) et les (auto-) définitions genrées de ces femmes et hommes. Nous remarquons que les parcours des femmes relèvent soit d’une virilisation, avec une sur-démonstration de compétences et de performances, soit d’une « muliérisation » (d’après Molinier, 2000), du fait de leur occupation exclusive de la sphère domestique ou de leur emploi dans des métiers dits « féminins ». Les hommes, quant à eux, bénéficient de socialisations masculines qui leur assurent un certain degré d’autonomie dans la conduite de leur parcours, quand bien même ils vivent une orientation « au féminin neutre » (Pont, 2018) vers des métiers dits « féminins ». Les trajectoires de ces personnes sont soutenues par des logiques actionnelles compensatrices, émancipatrices des effets handicapants de la déficience et des représentations négatives qui y sont attachées, aux fins de la stabilisation de la trajectoire éducative ou professionnelle. Nous dressons une typologie des modèles d’émancipation, d’empowerment de nos informateurs-trices, pour dégager en particulier ceux de la « compensation » et de la « compétence différentielle » (Pont, 2018). A l’aune de la pédagogie freirienne, ces modèles sont transformés en instruments conscientisants (Freire, 1980), autonomisants et innovants en contexte de réhabilitation professionnelle des paraplégiques, à travers la praxis de la pairémulation (Gardien, 2017). Celle-ci consiste en la transmission d’un-e pair expérimenté-e à un-e autre, de connaissances de soi et de savoirs pratiques et d’expérience (tels les modèles d’empowerment que nous avons définis), qui seraient autant de moyens de regagner du pouvoir biographique dans les mondes de l’éducation et du travail. Dans le cadre de la réhabilitation des paraplégiques, la pairémulation pourrait faciliter la co-construction d’un projet professionnel (ou éducatif) autodéterminé, et émancipateur des politiques assurantielles publiques d’activation marquées par le genre et le handicap, qui laissent pour l’heure dans l’ombre les potentialités mutuellement capacitantes de la transmission d’expériences éducatives et professionnelles par les pairs (Pont, 2016).