En 1954, Claude Lévi-Strauss donne à l’Unesco un rapport longtemps retardé sur la « Place de l’anthropologie dans les sciences sociales et les problèmes posés par son enseignement » (rapport qui, quatre ans plus tard, deviendra le chapitre XVII d’Anthropologie structurale). Il tâche d’éclaircir la confusion à la fois terminologique et disciplinaire qui entoure les termes d’ethnologie, d’anthropologie sociale, d’anthropologie culturelle, de préhistoire, etc. À cette occasion, il propose une tripartition, qui deviendra fameuse, entre ethnographie, ethnologie et anthropologie, cette dernière étant conçue comme la "dernière étape de la synthèse", "vis[ant] à une connaissance globale de l’homme, embrassant son sujet dans toute son extension historique et géographique". L’histoire intellectuelle a souvent interprété ce geste comme un coup de force réussi, imposant l’anthropologie comme discipline souveraine et législatrice, régnant sur l’ensemble des sciences de l’homme. Alors même qu’il ne fera plus de terrain et qu’il s’attelle à l’étude des mythes des Amériques sur la base de données collectées par d’autres, Lévi-Strauss est élu en 1960 au Collège de France sur une chaire d’« anthropologie sociale » ; la revue L’Homme, lancée un an plus tard, porte pour sous-titre Revue française d’anthropologie. Certains ethnologues rejetteront ensuite le terme d’anthropologie, refusant l’autorité et l’ambition généralisante qu’il semblait supposer. Pourtant, cette lecture de la tripartition comme une distribution de la connaissance ethnologique en trois « étages » – de l’observation particulière à la théorie générale mais aussi du terrain au cabinet – néglige le contexte de sa formulation et attribue à l’anthropologie structurale une épistémologie fondée sur la « montée en généralité » qui n’est pas la sienne. Il importe donc de revenir aux enjeux institutionnels mais aussi théoriques de cette tripartition au moment de son émergence.