Suivant le contexte de communication, les locuteurs adaptent leur manière de parler. Par exemple, un professeur peut parler fort pour être entendu par sa classe, tandis que les élèves peuvent chuchoter pour discuter sans perturber. Ces adaptations, appelées modes de parole, ont été peu explorées dans les modèles de production de la parole. La plupart distinguent l'encodage linguistique (langage) de l'encodage phonétique (parole), transformant ainsi le code linguistique abstrait en un code moteur. Mais le nombre de processus pour cette transformation varie selon les modèles. Certains postulent une seule étape (Levelt, 1989), tandis que d'autres en supposent deux distinctes (Van der Merwe, 1998, 2021; Guenther, 2016). Dans cette optique, notre travail considère deux processus de traitement de la parole : la planification phonétique et la programmation motrice. La première consiste à encoder le plan moteur, incluant les détails articulatoires de chaque phonème et la coarticulation. Ce plan est ensuite transmis à la programmation motrice, qui définit les paramètres musculaires nécessaires à l'articulation. Les modèles théoriques envisagent que c'est à ce niveau que les modes de parole sont encodés. Cependant, ces distinctions et l'encodage des modes de parole n'ont pas été suffisamment vérifiés empiriquement. Le but de ce travail est donc d’apporter des éléments en faveur de la distinction entre ces deux processus d’encodage, en s’appuyant sur une tâche de production de différents modes de parole.
Dans notre première étude, nous cherchons à corroborer cette distinction en observant des marqueurs de ces deux processus chez des adultes neurotypiques et des personnes avec des troubles moteurs de la parole. Nous avons mené des expériences sur l'encodage des modes de parole (parler fort, chuchoter) chez des participants neurotypiques, révélant un coût de traitement associé à la parole modulée. Pour mieux comprendre ces processus, nous avons répété l'étude avec des participants souffrant d'apraxie de la parole, dont le déficit sous-jacent se situe théoriquement au niveau de la planification versus de dysarthrie, dont le déficit se situerait plutôt au niveau de la programmation motrice de la parole. Les résultats montrent que les participants présentant une apraxie de la parole ont des difficultés à initier la parole chuchotée, tandis que ceux avec dysarthrie sont plus rapides.
Ces résultats semblent remettre en question l'hypothèse d'un encodage des modes de parole uniquement au niveau de la programmation motrice. Nous émettons l'hypothèse que les résultats chez les participants dysarthriques pourraient être dus à des difficultés dans la parole normale, tandis que ceux chez les apraxiques pourraient résulter d'une cascade de problèmes de planification vers la programmation. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour confirmer cette interprétation.