En 1934, Antonin Artaud publie aux éditions Denoël et Steele Héliogabale ou l’anarchiste couronné. Ce bref récit (écrit à la demande de Robert Denoël) inaugure une série d’essais historiques. L’Histoire – celle de l’archive, qu’Antonin Artaud marque d’une majuscule – sert de matériel au poète pour écrire l’histoire – avec une minuscule cette fois – du jeune empereur Héliogabale, de son « berceau de sperme » jusqu’au Tibre qui emportera dans la mer son cadavre supplicié.

Les notes des Œuvres complètes sur Héliogabale indiquent à raison que si L’anarchiste couronné est « avant tout œuvre de poète », il s’agit aussi d’un « ouvrage d’érudition ». Fort de citations, de traductions, de réinterprétations et de transcriptions, le récit d’Héliogabale par Antonin Artaud est écrit « pour aider ceux qui la liront à désapprendre un peu l’Histoire ; mais tout de même à trouver le fil ». Pour entamer ce projet de déconstruction historique, Antonin Artaud se plonge avec ferveur dans les écrits des biographes ayant vécu ou non à l’époque d’Héliogabale. Il déterre des archives la politique ésotérique de l’empereur solaire et décadent, l’adolescent efféminé qui, entre 218 et 222 de notre ère, règne maladroitement quatre ans sur l’Empire romain puis meurt massacré par ses soldats ou son peuple selon la mythologie choisie. Comme Néron, Tibère, Vitellius ou Caligula, Héliogabale a rejoint le panthéon imaginaire des mauvais empereurs. Antonin Artaud l’en arrache et, par une savante et moqueuse réinterprétation des sources, le sacre « anarchiste couronné » pour avoir « poussé au paroxysme la recherche de l’art, la recherche du rite et de la poésie au milieu de la plus absurde magnificence ».