Aujourd’hui, l’horlogerie genevoise est devenue synonyme de luxe et de fiabilité. Son prestige est considérable et nombreux sont ceux qui voient dans cette association la caractéristique distinctive de la montre de Genève. Si la dizaine de maisons horlogères genevoises actuelle est présente sur le segment des montres de luxe, ce secteur comptait au 18ème siècle un nombre bien plus élevé d’entreprises qui fabriquaient des montres de qualité très variables. De cette époque n’ont survécu que deux grandes entreprises actuelles : Vacheron Constantin et Patek Philipe. Il apparaît a posteriori qu’un facteur clé de leur réussite a été leur capacité à mécaniser précocement leur production. Ce sont toutefois d’exceptions qui infirment la tendance générale ; à l’échelle du secteur, en comparaison nationale et internationale, l’horlogerie genevoise rencontre en effet les plus grandes difficultés à mécaniser sa production au 19ème siècle.
Dans cette étude, j’explore les facteurs explicatifs sous-jacents à la lenteur de la mécanisation de cette industrie à Genève. J’analyse tout d’abord les facteurs endogènes (concurrence, salaires, résistances des horlogers, mentalités horlogères, type de montre, …) à l’horlogerie en traitant chronologiquement des quatre phases principales de son processus de mécanisation. Je procède ensuite à une estimation comparative - pour l’horlogerie genevoise et suisse - du rythme et de l’intensité de la mécanisation à travers l’approche de la productivité par travailleur. Enfin, j’analyse séparément les deux facteurs exogènes à l’horlogerie (le capital et l’énergie) ayant exercé un impact négatif sur le potentiel de mécanisation du secteur.
Les résultats de ma recherche me permettent de mettre en évidence cinq obstacles principaux qui ont retardé la mécanisation de l’horlogerie genevoise au 19ème siècle : 1) un salaire plus élevé que la concurrence, qui lui fait perdre dès le 18ème siècle la production d’ébauches de montres en rendant sa réintroduction ultérieure plus difficile, 2) une pénurie de financement de la part des banques locales et des capitalistes qui préviennent la création d’un nombre plus important de fabriques mécanisées à Genève ; 3) un coût de l’énergie trop élevé, qui restreint l’utilisation de la force motrice dans la seconde moitié du 19ème siècle ; 4) la spécialisation dans la montre de première qualité ; soit un type de montre pour lequel, pour des raisons techniques, la production mécanique en série n’offre pas encore d’avantages décisifs sur le travail artisanal, 5) et enfin, pour beaucoup d’horlogers, attaché à la tradition horlogère genevoise, le risque réputationnel et économique (baisse des salaires) lié à une introduction à large échelle