Dans Thérèse Raquin (1867), roman de jeunesse d'Émile Zola, la cicatrice – celle que Laurent, amant de l'héroïne éponyme, porte au cou depuis qu'il a tué le mari de cette dernière – revient avec insistance dans la narration. Si elle obsède les personnages, elle obsède avant tout l'auteur, qui effectue un retour constant sur elle, lui donnant une épaisseur, une permanence dans le récit. Ce mémoire se propose d'analyser la fonction du motif de la cicatrice et de comprendre les objectifs que sert l'investissement intellectuel et esthétique de Zola à son égard. Étudiant le texte au prisme des sciences médicales, ce travail montre comment l'auteur emploie le motif de la cicatrice à des fins idéologiques, en adéquation avec le courant psycho-physiologique qui a traversé les sciences humaines durant la deuxième moitié du XIXe siècle. Par la mise en échec de la sémiotique, à travers la dévalorisation des instances interprétatives par excellence (policiers, médecins) et une cicatrice qui n'opère jamais comme signe, Zola cherche à promouvoir un nouveau paradigme, celui qui institue le corps, dans ses profondeurs nerveuses et organiques, comme le seul siège de toute fonction humaine – pensée, mémoire et sentiments inclus. La cicatrice, en tant qu'elle est encore une morsure, vive et lancinante, permet à l'auteur d'en faire un paradigme pour donner à comprendre le fonctionnement des passions et des relations entre individus dominés par leur tempérament. Soumis à l'empire du corps, mutuellement contaminés par les empreintes internes de l'autre, ceux-ci ne peuvent avoir qu'une sexualité marquée par la violence, dont la cicatrice est à la fois le lieu d'expression et le modèle explicatif.