Alors que l’amitié masculine a fait couler beaucoup d’encre au fil des siècles, l’amitié féminine est restée négligée par l’histoire littéraire. La critique contemporaine a en effet longtemps considéré, comme les auteurs de la première modernité, que ce sentiment était trop noble pour que les femmes en soient capables. Puisque ces dernières n’intègrent que depuis peu le canon littéraire, ce préjugé a ainsi commencé seulement récemment à être déconstruit. Mon travail de master contribue à pallier cet impensé à son modeste niveau, en étudiant l’amitié féminine dans l’« Histoire de Sapho » (1654) et Mathilde (1667) de Madeleine de Scudéry (1607-1701). La première de ces œuvres est un récit enchâssé dans Artamène ou le Grand Cyrus, un roman (le plus long de la langue française) qui rencontra un grand succès à sa sortie et plaça son autrice parmi les écrivains reconnus de son siècle. Mathilde est en revanche une nouvelle autonome que Scudéry publie dans la seconde partie de sa carrière, lorsqu’elle abandonne les longs romans pour s’adapter aux goûts de l’époque. J’ai structuré mon examen de ces œuvres composées à plus de dix ans d’écart selon un plan thématique, ce qui m’a permis de dégager à la fois des constantes et des évolutions dans la conception scudérienne de l’amitié. D’une part, j’ai pu montrer que l’autrice développe des modèles d’amitié – entre femmes et entre hommes et femmes – originaux, voire subversifs. D’autre part, j’ai pu constater que si ses propositions pour une organisation sociale réenchantée et plus équitable restent principalement d’ordre théorique dans l’« Histoire de Sapho », elles sont davantage mises en pratique dans Mathilde. En dissimulant sous un tour ludique typique de l’esthétique galante la radicalité de son propos, Scudéry – surnommée Sapho par ses amis – institue ainsi dans le genre romanesque un nouveau langage de l’affection féminine.