Ce travail s'articule autour d'une question principale : comment la ville de Kankan, en Guinée actuelle, a été colonisée par les Français ? Cette question, en apparence anodine, pose de nombreuses questions subsidiaires, conférant à ce mémoire des enjeux plus larges : comment l'urbanisme, les structures et les institutions urbaines ont été colonisées ? Comment l'économie locale est passée sous le giron colonial ? Comment, enfin, un petit nombre de Français est parvenu à faire accepter la domination coloniale à la population locale ? Ces trois questions, qui forment les trois axes principaux de ce travail, permettent d'aborder en profondeur l'histoire sociale de cette colonisation urbaine.
Adoptant une perspective d'histoire urbaine, ce mémoire propose ainsi une étude des balbutiements de la présence coloniale française, à petite échelle, dans une ville préexistant à la présence française et colonisée plus tardivement que la majorité des grands centres coloniaux. L'analyse, qui se base sur des sources diverses conservées autant en France qu'en Guinée, permet ainsi de mettre en exergue la trajectoire faisant passer Kankan d'une ville précoloniale majeure sur le plan de l'économie régionale à une ville coloniale accomplie à l'échelle de l'Afrique-Occidentale française, disposant de toutes les infrastructures et institutions de la colonie, mais sans pour autant atteindre l'importance des capitales coloniales. L'historiographie consacrée à l'histoire urbaine en Afrique de l'Ouest s'étant avant tout concentrée sur ces capitales coloniales, ce mémoire permet ainsi d'amener de nouvelles réflexions, en particulier sur la colonisation des villes secondaires.
Cette période du tournant colonial - dénommée dans ce mémoire et conceptualisée comme le basculement colonial - est rarement étudiée pour elle-même. Or, l'étude de cette période, qui plus est dans une ville comme Kankan, qui préexiste à la présence française et qui n'est donc pas créée ex nihilo par cette dernière, permet de révéler les mécanismes et outils mobilisés par les colonisateurs français pour parvenir à leurs fins et transformer Kankan en une cité coloniale importante, malgré le faible nombre de Français postés dans la ville jusque dans les années 1910. En cela, ce mémoire se veut comme une ouverture vers de nouvelles recherches et réflexions, non seulement sur la période étudiée, mais également sur le concept même de ville coloniale.